Dans cet article, nous explorons trois interrogations méthodologiques clés qui émergent lorsque les mouvements de travailleurs s’efforcent de tirer parti des chiffres, des statistiques, et des analyses de données dans le but d’améliorer leurs conditions matérielles, tout en abordant pourquoi les données constituent une source de pouvoir pour les vendeurs de rue et ceux qui opèrent sur les marchés.

Le 7 octobre, nous avons tenu un webinaire sur le thème « L’importance des statistiques concernant les vendeurs de rue et les vendeurs sur les marchés » Joann Vanek, experte en statistiques et consultante pour WIEGO, a exposé l’étude qu’elle a co-dirigée, intitulée « Vendeurs de rue et commerçants de marché dans douze pays : un profil statistique » Cette publication s’inscrit dans la série des « Statistical Briefs » (Des dossiers statistiques) de WIEGO. La rencontre a suscité des échanges enrichissants sur notre méthodologie de collecte de données au sein de l’organisation. Cet article présente quelques réflexions tirées de ces discussions.

Rassembler des informations sur les économies informelles ou populaires, qui sont souvent négligées par les statistiques officielles, peut sembler être un défi insurmontable. L’absence de documentation et d’enregistrements formels constitue l’une des principales difficultés, car de nombreuses transactions s’effectuent en dehors des circuits officiels. De plus, la diversité et la fluidité des économies informelles compliquent l’élaboration de méthodes normalisées pour la collecte de données. Des problèmes de confiance et d’accès peuvent également survenir, les individus étant parfois réticents à partager des informations avec des chercheurs ou des autorités.

1) Nous devons mettre en place une pratique de collecte de données au sein du mouvement des travailleurs

La collecte de données peut s’avérer être un défi considérable. Pour réussir, les mouvements, les associations et les syndicats doivent instaurer des pratiques internes solides qui permettent de transformer les informations en connaissances. Concernant les vendeurs de rue et ceux sur les marchés, cela peut requerir un changement de vision. Ces vendeurs ont l’habitude de travailler avec des chiffres au quotidien : chaque jour, ils font le comptage des colis, de l’argent, ainsi que des marchandises qui entrent et sortent de leur commerce. Ils sont en permanence en contact avec des données, même sans en avoir conscience. Ces compétences peuvent également être appliquées à l’activité politique. Il serait possible pour les syndicats et les associations de travailleurs de commencer à conserver un registre spécifique de leurs membres, en notant les catégories de marchandises qu’ils proposent (par exemple : produits alimentaires ou non alimentaires, appareils, vêtements) et en précisant le genre des vendeurs, hommes ou femmes. Ces informations simples, une fois collectées, deviennent très utiles, offrant une représentation claire des conditions des vendeurs de rue dans une ville, une région ou un État.

2) Nous devrions appliquer une approche ascendante centrée sur la voix des travailleurs

Il est crucial de tisser des liens avec des chercheurs et des institutions académiques. Cependant, il est tout aussi fondamental que les organisations de vendeurs de rue continuent de se focaliser sur la voix des travailleurs. Les histoires partagées à travers les données récoltées doivent représenter les véritables expériences des travailleurs. Fournir des informations à des organismes externes, qu’il s’agisse d’ONG, d’universités ou d’instituts de recherche, ne doit en aucun cas se transformer en un simple processus d’extraction. C’est pourquoi il est essentiel que les représentants des travailleurs de l’économie informelle, tels que StreetNet et ses affiliés, collectent leurs propres données internes, tout comme nous le faisons chaque année lors de la préparation de notre Rapport global.

3) Nous devons utiliser les données pour défendre nos intérêts : les données représentent la force collective des vendeurs de rue et des vendeurs sur les marchés !

Les données représentent un outil phénoménal pour le plaidoyer. Elles peuvent être utilisées pour dialoguer avec les représentants gouvernementaux lors de rencontres. Des informations fiables nous aideront à contrer les objections potentielles des fonctionnaires, comme celles qui affirment que « ce ne sont que des preuves anecdotiques », ou à démystifier les idées fausses qui nuisent aux travailleurs de l’économie informelle. Carmen Roca, coordinatrice de la ville focale de Lima, a souligné lors de notre séminaire en ligne que les informations que nous possédons nous aident à redonner un sens à nos revendications. Exiger la formalisation ne constitue pas un geste de concession envers quelques travailleurs, mais représente un changement structurel réclamé par une majorité. Au niveau mondial, il y a plus de 2 milliards de travailleurs informels, un chiffre qui démontre notre force collective La familiarisation avec les données dans les espaces de plaidoyer renforce le courage des travailleurs. Comme le disait Ela Bhatt, fondatrice de SEWA : « Nous sommes pauvres, mais nous sommes si nombreux » Les chiffres sont notre force et nous pouvons apprendre à les utiliser de manière stratégique.

(Image de couverture : Vendeurs ambulants à Maputo, Mozambique. Crédits Margarida Teixeira.)