Du 14 au 19 octobre, l'équipe de StreetNet s'est réunie à Ahmedabad, en Inde, pour une visite de quatre jours à l'Académie de l'Association des femmes indépendantes (SEWA). Nous avons eu le plaisir d'être accompagnées par Maya Gurung, présidente de NEST (Népal) et membre du Conseil international. L'objectif de la visite était de découvrir les activités de SEWA, d'en apprendre davantage sur sa philosophie et son histoire, et de rencontrer les travailleuses et leurs familles, les vendeuses de rue et de marché, qui ont bénéficié du travail de SEWA au fil des décennies. Notre visite s'est principalement concentrée sur le travail de l'Académie indienne des femmes indépendantes, ou IASEW, un établissement d'enseignement consacré à l'amélioration de la vie, des capacités et à l'autonomisation des femmes dans l'économie informelle. – la majorité de la main-d’œuvre féminine en Inde. Grâce à une approche active et participative, l’IASEW enseigne aux femmes et aux filles le leadership politique, la santé, la société, l’environnement et leur donne les moyens de créer des changements significatifs dans leur communauté.

SEWA a également été l’un des membres fondateurs et l’un des moteurs de la création de StreetNet en 2002.

« Ce voyage a été très significatif pour StreetNet », déclare Maìra Vannucchi, organisatrice régionale de StreetNet pour les Amériques. « Nous pouvons constater à quel point SEWA est essentielle à l’existence de StreetNet. Ils ont réussi à développer une stratégie de syndicalisation vraiment efficace, qui fait suite à un travail de 50 ans ».

La SEWA s’efforce désormais de faire connaître son expérience significative au-delà des frontières de l’Inde. Sapna Raval, l’une des responsables de programme de l’IASEW et notre guide tout au long de l’expérience, a ajouté : «Nous valorisons la perspective nationale et internationale. Nous souhaitons que l’expérience de nos collaborateurs soit diffusée à l’extérieur. C’est pour cela que nous organisons ce genre de visites : pour faire connaître notre travail à d’autres personnes ».

Une organisation interconfessionnelle et interculturelle

Née en 1972, dans le sillage du mouvement de libération gandhien, la SEWA a été la première à organiser les ouvrières de la région d'Ahmedabad, qui ont perdu leur emploi dans l'industrie textile, après la crise économique. Ces femmes, qui font partie des travailleuses les plus vulnérables, ont été poussées hors de l'emploi formel et ont créé leurs propres petites entreprises dans le secteur informel.

SEWA a connu une croissance considérable au cours des cinquante dernières années : elle est passée d’un syndicat local à une organisation respectée et connue au niveau international. Elle mène de nombreuses activités essentielles visant à améliorer les conditions de vie des travailleuses, comme la Banque SEWA, qui offre des possibilités de crédit et d’épargne aux travailleurs les plus pauvres du pays, la Fédération coopérative SEWA, qui encourage et soutient les entreprises coopératives fondées par les travailleurs de l’économie informelle, et de nombreux centres communautaires œuvrant dans le domaine de la garde d’enfants, de l’éducation sanitaire et des droits reproductifs.

L'économie sociale et solidaire et ses bienfaits sur la vie des travailleurs

Lors des visites sur le terrain, nous avons eu l'occasion de parler directement aux travailleurs et d'en apprendre davantage sur l'impact des activités de SEWA sur leurs moyens de subsistance. En parcourant le marché Plaza d'Ahmedabad avec nos guides (Reema Kapoor et Sapna Raval, directrices de programme de l'Académie), de nombreuses personnes ont reconnu la délégation de SEWA et lui ont exprimé leur gratitude.« Grâce à SEWA, je peux mener mes affaires en toute tranquillité, sans que personne ne me harcèle », a déclaré une vendeuse. Une autre femme nous a confié avec fierté qu’elle parvient à économiser pour envoyer ses enfants à l’école, même si elle a dû commencer à vendre dans la rue très tôt. Certaines vendeuses sont membres de SEWA depuis plus de vingt ans.« J’avais beaucoup de problèmes avec la police », nous a confié un autre vendeur. « J’avais l’habitude de courir aux bureaux de la SEWA pour demander de l’aide ». La même femme nous a dit qu’elle avait pu obtenir un prêt de la banque SEWA pour acheter des matières premières pour son entreprise.

À la banque, nous avons pu constater le travail éducatif que les responsables et les employés de la SEWA ont réalisé pour donner aux travailleurs une éducation financière complète : ils leur ont appris à établir un plan d’épargne, à demander un prêt, à utiliser un guichet automatique et une carte de débit.

« Je suis membre de la banque SEWA depuis 15 ans », nous a confié une cliente. « J’ai épargné dans cette banque. Je suis une travailleuse domestique ». Pour de nombreux travailleurs de l’économie informelle, il est presque impossible d’obtenir une aide financière ou un crédit. « Ici, c’est facile et accessible », a expliqué la cliente.

Le troisième jour, nous avons visité un programme d’alphabétisation pour les femmes adultes, une autre activité que SEWA est très fière d’organiser. Là aussi, les travailleuses étaient très désireuses de nous parler des avantages qu’il y avait à adhérer au syndicat et à suivre un tel cours. Une femme a dit qu’elle était maintenant capable de lire des indications à l’hôpital, une autre a déclaré qu’elle pouvait maintenant aider ses enfants à faire leurs devoirs. Beaucoup d’entre elles ont souligné à quel point l’alphabétisation les a aidées dans leurs activités quotidiennes : les travailleuses sont capables de tenir un registre et de faire des calculs, de mieux communiquer avec les clients. Pour les femmes qui travaillent dans l’industrie textile, connaître les mathématiques de base est essentiel pour prendre des mesures.

« C’était très enrichissant de voir le travail de SEWA et ses avantages pour les travailleurs » « déclare Evelyn Benjamin-Sampson, organisatrice de StreetNet pour l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale.J'ai écrit mon mémoire de master sur l'économie informelle, mais ce voyage a ajouté de nombreuses perspectives pratiques à mes connaissances..

Une approche holistique

L'association travaille sur deux niveaux principaux : la lutte pour les droits du travail et le développement économique, toujours en mettant l'accent sur les femmes. Le côté lutte est mené par le syndicat des travailleurs. Le syndicat des travailleurs négocie avec les autorités, fait pression pour une meilleure législation et représente les travailleurs dans les contextes officiels. La fédération coopérative soutient les travailleurs dans leur entreprise et leur travail quotidien, à la fois financièrement et par le biais de l'éducation entrepreneuriale et du renforcement des capacités.

Les principes de SEWA (égalité, non-violence, droits des femmes et cohabitation pacifique entre différentes cultures et religions) sont connus et appliqués dans différentes activités et à différents niveaux de l'organisation. De la recherche et de la communication à l'éducation des travailleurs, toutes les personnes que nous avons rencontrées et avec lesquelles nous avons discuté semblent comprendre très clairement les missions et les valeurs de l'organisation.

L’organisation est l’un des principaux piliers de toutes les activités de SEWA : les gens doivent être mobilisés, inclus dans une action collective menée par les femmes indépendantes elles-mêmesIl s’agit d’un travail de longue haleine, un travail qui a pris plusieurs décennies à SEWA pour se développer et de nombreux défis à relever. D’autant plus que la base des travailleurs est très diversifiée, composée de femmes urbaines et rurales, de femmes de différents secteurs, religions, origines chastes et géographiques, de différentes générations. SEWA travaille beaucoup au niveau communautaire, en s’appuyant sur la confiance : les personnes qui travaillent dans les centres de santé ou d’alphabétisation, celles qui travaillent à la banque, qui doivent collecter l’argent des clients, les enseignants des garderies – tous sont originaires des communautés qu’ils servent. L’organisation ne serait pas possible sans ce type de confiance populaire construite à partir de la base. Le personnel de l’organisation parle constamment aux gens sur le terrain, constamment conscient de leurs besoins.

« Nous avons réalisé combien le développement économique et la syndicalisation sont deux piliers essentiels pour l’émancipation des travailleurs » continue Maira Vannucchi « Créer des coopératives pour générer des revenus est une façon de lutter contre la pauvreté de manière collective et d’encourager les gens à parler de leurs conditions de vie et à lutter pour leurs droits ».

L'action collective est un élément clé de la philosophie de SEWA, mais elle est également associée à l'autonomie. L'autonomie financière, le travail décent comme clé d'une vie décente, l'alphabétisation et les capacités de négociation sont autant d'éléments que l'organisation promeut – dans le contexte de l'économie sociale et solidaire. Les personnes avec lesquelles nous avons discuté l'ont souligné à plusieurs reprises : SEWA n'est pas une organisation caritative, c'est une organisation de travailleurs qui soutient en particulier les femmes travailleuses et favorise leur indépendance et leur autonomie. Par exemple, les entreprises coopératives sont soutenues par la fédération coopérative SEWA pendant les deux premières années, mais elles deviennent ensuite indépendantes et doivent être autosuffisantes.

« C’est incroyable de voir combien de femmes qui étaient auparavant vendeuses de rue travaillent aujourd’hui comme employées de SEWA. Elles étaient enfermées dans le piège de la pauvreté, mais grâce à l’association, elles ont pu améliorer leurs conditions de vie. C’est incroyablement inspirant de voir cela, pour notre travail d’organisatrices. » commente Nash Tysmans, organisateur régional pour l'Asie.

L'autonomisation des femmes à travers les générations

SEWA est une association de femmes et l’un de ses principaux objectifs est l’autonomisation des femmes et la promotion du leadership féminin. L’émancipation est un terme souvent galvaudé, mais SEWA a su lui donner un sens concret. En Inde et dans le monde entier, les femmes, et en particulier celles qui travaillent dans l’économie informelle, sont soumises à des structures patriarcales qui ne les reconnaissent pas comme de « véritables travailleuses » : la première étape pour organiser les femmes est de leur donner confiance dans leur rôle d’abord et dans leur potentiel ensuite. L'autonomisation provient de différentes sources et activités : de l'apprentissage au renforcement des capacités de leadership, en passant par la gestion des médias communautaires ou des coopératives. SEWA gère également des centres de formation professionnelle pour les adolescentes, où elles peuvent acquérir des compétences qui leur permettront de devenir indépendantes à l'avenir. Cela ne se limite pas aux jeunes filles, car de nombreuses élèves des cours d'alphabétisation sont des femmes plus âgées.

« Sewa a fait un travail très appréciable », déclare Maya Gurung, membre du Conseil international de StreetNet, « en particulier en cibler les femmes qui travaillent dans tous les domaines du travail, les organiser, protéger leur profession, leur fournir une formation, développer leurs capacités, les rendre financièrement solides, et entreprendre diverses activités”.

« Ce type de visites d’exposition est vraiment important », conclut Reema Kapoor, qui a conçu le programme que nous avons suivi et nous a accompagnés, avec Sapna Raval, pendant les cinq jours de notre séjour. « Nous pouvons partager ce que nous apprenons et nous sommes heureux de voir nos connaissances transmises au monde extérieur ».