12 Juin 2009
98e session de la Conférence internationale du Travail
Discours en séance plénière
Au nom de WIEGO (Women in Informal Employment: Globalising and Organizing) et de la fédération internationale des organisations de vendeurs ambulants, de vendeurs sur les marchés informels et de marchands ambulants, StreetNet International, je voudrais féliciter le Directeur général de l'OIT pour son excellent rapport intitulé « Faire face à la crise mondiale de l'emploi : la reprise par des politiques de travail décent ».
Cette intervention porte sur les effets de la crise mondiale sur les travailleurs de l’économie informelle, c’est-à-dire les travailleurs salariés précaires et les travailleurs indépendants, tels que décrits dans la clause 4 des conclusions de l’OIT de 2002 sur le travail décent et l’économie informelle. Sur les marchés du travail de nombreux pays en développement, plus de la moitié des travailleurs (le Comité plénier sur les réponses à la crise a appris qu’en Inde, ce chiffre est de 92 %) luttent pour gagner leur vie dans diverses formes d’emploi précaire et informel.
Il existe un mythe selon lequel ces travailleurs sont en quelque sorte protégés des effets de la crise. Au contraire, les travailleurs informels, en particulier les femmes, ont tendance à occuper le bas de la pyramide de l’économie mondiale, avec moins de protection et de flexibilité que leurs homologues du secteur formel. En période de crise économique, les entreprises informelles et les salariés n’ont aucun moyen de se replier et n’ont d’autre choix que de continuer à fonctionner ou à travailler. De plus, à mesure que de plus en plus de travailleurs se ruent sur l’économie informelle, le résultat net est que de plus en plus d’entreprises ou d’individus se disputent des parts de plus en plus petites d’un gâteau qui se rétrécit. Le chômage, dans ce cas, est éclipsé par un appauvrissement croissant – les travailleurs pauvres devenant de plus en plus pauvres.
À titre d’exemple, on estime que 1 à 2 % de la population urbaine mondiale vit de la collecte et du recyclage des déchets de papier, de carton, de plastique, de verre et de métal. Depuis septembre-octobre 2008, la demande et le prix des déchets recyclables ont chuté en raison d’une baisse de la demande de matières premières et de matériaux d’emballage en Asie. La baisse des exportations de produits manufacturés vers les pays développés a entraîné une baisse de la demande de déchets recyclés et une baisse du prix de vente des déchets. Les collecteurs de déchets du monde entier gagnent désormais beaucoup moins qu’avant ou risquent de perdre leurs moyens de subsistance.
De nombreuses collectivités locales exacerbent ces tendances en réagissant à la crise en mettant fin aux contrats temporaires des travailleurs précaires. Elles expulsent également les commerçants informels de l’espace public qui constitue leur lieu de travail sans les consulter sur les alternatives possibles, dans des tentatives malavisées d’attirer des investissements dans les infrastructures en vendant des biens publics à des promoteurs immobiliers privés. En Afrique du Sud, ce phénomène est encore plus prononcé, car les collectivités locales ferment les yeux sur la crise mondiale de l’emploi dans le cadre de leurs préparatifs pour la Coupe du monde de la FIFA 2010.
Cela détruit non seulement les moyens de subsistance d’un grand nombre de travailleurs précaires et informels, mais a également des effets négatifs sur la sécurité alimentaire des consommateurs pauvres en éliminant leur accès à des aliments frais de base et à des produits ménagers moins chers, car les marchés traditionnels (au lieu d’être améliorés et modernisés) sont remplacés par de nouveaux centres commerciaux multinationaux.
En ce moment même, une lutte à mort fait rage à Durban, en Afrique du Sud, autour d’un projet de développement visant à démolir un marché vieux de 99 ans (un site classé au patrimoine mondial) qui fournissait des produits frais à des prix raisonnablement bas aux consommateurs à faible revenu de la ville, ainsi que 10 marchés informels environnants, où 7 000 à 10 000 commerçants informels survivent difficilement. La municipalité de Durban propose de construire un centre commercial moderne dans cette zone, où il existe déjà 8 ou 10 autres centres commerciaux dans un rayon de 10 km. Les effets d’un tel développement pendant la crise actuelle, sur les moyens de subsistance des commerçants informels de la région et sur la sécurité alimentaire des communautés à faible revenu de Durban, seront dévastateurs.
Conformément à la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, au Cadre stratégique 2010-15 et au Pacte mondial pour l’emploi proposé par l’OIT, nous exhortons les gouvernements à associer de toute urgence les autorités locales à leurs plans de relance économique, et à :
- les encourager à adopter des stratégies de développement économique local favorisant le maintien de l’emploi et des moyens de subsistance existants, et à promouvoir des régimes locaux de protection sociale innovants, comme contribution à la reprise économique ;
- les sensibiliser aux conséquences négatives à long et moyen terme de toute mesure à court terme ayant pour effet (même involontaire) de détruire les moyens de subsistance, en particulier ceux des travailleurs les plus vulnérables, pendant la crise économique mondiale ;
- les exhorter à s’engager dans un dialogue social approfondi et efficace avec pour objectif de :
a. être pleinement responsables devant leurs mandants de la société civile;
b. améliorer les niveaux de transparence concernant les décisions de développement impliquant des biens publics;
c. impliquer les travailleurs les plus vulnérables dans les solutions au niveau des collectivités locales contribuant aux plans nationaux de relance économique.
Ce dialogue social devrait compléter les autres niveaux de négociation collective et de dialogue social (c’est-à-dire bipartite, tripartite, multipartite, national et international) avec tous les partenaires sociaux, y compris les travailleurs organisés de l’économie informelle.
Présenté par : Mme Pat Horn, coordinatrice internationale de StreetNet International au nom de WIEGO (Femmes dans l'emploi informel : mondialisation et organisation)
Palais des Nations, Genève